Courses sauvages à Nantes

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Chaque vendredi soir, les courses sauvages attirent des dizaines, voire des centaines de personnes aux beaux jours, dans une zone industrielle de Saint-Herblain. En toute illégalité, des conducteurs comparent la puissance de leurs véhicules dans une ligne droite.

Adrénaline en injection directe

nan21600 mètres de ligne droite, des voitures puissantes et de l’adrénaline… Le cocktail séduit, chaque vendredi, des dizaines voire des centaines de personnes, en fonction de la météo. Au beau milieu d’une zone industrielle près d’Atlantis, la rue du Coutelier est le rendez-vous incontournable des amateurs de courses sauvages. Deux motos ou deux voitures s’alignent à quelques mètres du stop à l’angle de la rue du Rémouleur. Juste devant, entre les deux véhicules, un jeune homme lève les bras en V. Les moteurs vrombissent et lorsqu’il abaisse les bras, les deux véhicules démarrent en trombe sous les cris des spectateurs. Première, deuxième, troisième… les rapports s’enchaînent et l’aiguille du compteur s’envole.

Des motos à 200 km/h

« Quand j’atteins les 130-140 km/h, je ralentis », assure Tony*. Ce propriétaire d’une Ford Mustang et d’une Golf IV GTI est au rendez-vous quasiment chaque vendredi depuis une bonne dizaine d’années. « On vient par passion, pour le plaisir de se retrouver et, certains soirs, on fait un run. Il n’y a rien de programmé à l’avance. On trouve une voiture d’une puissance à peu près équivalente et on se lance. C’est pour le plaisir de se comparer, de savoir qui va le plus vite ». Audi TT contre BMW, vieille Mégane contre une Seat Ibiza tout aussi âgée ou petits modèles survitaminés s’alignent et filent dans la ligne droite jusqu’au milieu de la nuit, parfois à plus de 180 km/h. Seule l’apparition, de plus en plus fréquente, d’un équipage de la police nationale, met fin aux courses qui finissent toujours par reprendre, quelques heures plus tard ou le vendredi suivant.

Certains y laissent une boîte de vitesse, d’autres la vie

nan23Question vitesse, les motos battent tous les records. Après 500 mètres de ligne droite, certaines grosses cylindrées dépassent les 200 km/h. D’autres assurent le spectacle en s’élançant sur la roue arrière ou en brûlant de la gomme dans des burns. D’autres conducteurs jouent du frein à main, sans toujours maîtriser leurs dérapages. « Depuis quelques années, c’est devenu le grand n’importe quoi. Des gens viennent ici et se croient tout permis», indique Fabien, un habitué de ce rendez-vous
nocturne.
On ne compte plus les embardées, les accrochages, les boîtes de vitesse HS… Et ces courses sauvages et rodéos tournent parfois au drame. Dans la soirée du 30 octobre 2015, une Clio conduite par un homme alcoolisé a percuté un groupe de six spectateurs, rue du Coutelier. Mélissa, une jeune Vendéenne de 17 ans, y a laissé la vie et plusieurs personnes ont été blessées. « Le mec conduisait comme un malade. Il ne participait pas une course, il faisait n’importe quoi et donnait des coups de frein à main », raconte un témoin. « J’étais à l’entrée de la ligne droite avec mon père. Il a dérapé dans le virage et a failli nous percuter. Si on ne s’était pas poussés au dernier moment, on finissait sur le capot. nan27C’est plus loin, dans la ligne droite qu’il a encore donné un coup de frein à main et est rentré dans le public », se souvient Tom*. Le conducteur, dépisté avec 1,88 gramme d’alcool dans le sang, a été mis en examen et écroué pour homicide involontaire.
Le prénom de Mélissa est venu allonger la liste des victimes de ces courses sauvages.

Le vendredi 13 juillet 2007, un Nantais de 22 ans est mort lui aussi. Sa moto, roulant à vive allure, a heurté une Audi TT qui effectuait semble-t-il un demi-tour au frein à main. La moto a dévié de sa trajectoire et est allée s’encastrer dans l’arrière d’une BMW stationnée. En mai 2006, un jeune homme de 19 ans a traversé la rue alors qu’un des participants au volant d’une Renault 5 GT turbo était lancé à 150km/h. Le jeune homme a été percuté et traîné sur plusieurs mètres. Il est décédé quelques jours plus tard.nan28

Une pétition pour réclamer une piste
Sans parking, sans organisateur identifié, sans barrières de sécurité, ces drames se répéteront. Une solution est sur toutes les lèvres pour en finir avec ces “accidents”. Une piste d’accélération sécurisée et éclairée. « Ça ne ne coûte pas si cher que cela. Et puis, on peut faire payer les entrées. A 2€, vu le monde qu’il y a, c’est vite rentabilisé. Il nous faut une piste comme à Bordeaux » (lire pages suivantes), indique Jean, qui participe depuis plus de 20 ans à ce type de rassemblement. « J’ai connu la zone industrielle entre Carquefou et Sainte-Luce, la Beaujoire, sous le pont de Cheviré, la rue Bobby-Sand à Saint-Herblain et maintenant ici. De toute façon, ça ne s’arrêtera pas, autant faire quelque chose d’approprié ». Plusieurs pétitions ont été lancées dans ce sens. La dernière, sur le site change.org, est adressée à la préfecture et à la ville de Nantes. « Nous pensons tous qu’il vaut mieux prévenir que guérir en aménageant une route ou en créant une piste pour accueillir les voitures », indique ce texte, qui a déjà recueilli près de 450 signatures.

« On tourne entre gens sérieux »
Certains ont déjà pris les devants et rejoint une association pour vivre leur passion en toute légalité. « On prend une adhésion. Plusieurs fois dans l’année, l’association loue le circuit de Fontenay-le-Comte ou Fay-de-Bretagne. Et on tourne entre gens sérieux », indique Fabien. Il s’est même acheté une voiture spécialement pour tourner sur circuit. Grâce à quelques modifications, sa BMW E30 de 1988 est passée de 115 cv à plus de 170cv. « Je fais aussi un peu de drift avec », explique-t-il. « Certains sont prêts à payer pour rouler en sécurité. Il faut que cela reste raisonnable pour que ce soit accessible au plus grand nombre. Mais il y aura toujours des gens pour faire n’importe quoi quand même ». Fabien reste tout de même fidèle au rendez-vous du vendredi soir. « Nous sommes des vrais passionnés. Qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige, on est là. »
*prénom modifié


Un rendez-vous menacé

nan26Plusieurs aménagements avaient été évoqués juste après le drame d’octobre dernier : ralentisseurs, chicanes, portails. Aucun n’a encore été réalisé rue du Coutelier. Finalement, Nantes Métropole a opté pour des terre-pleins sur les bords de la chaussée, qui formeront des “écluses”.
« Les études sont en cours et les travaux seront réalisés dans le courant de l’année 2016 », indiquent les services de Nantes Métropole. « Ce type d’aménagement est coûteux pour la collectivité. Ce sont les impôts de tous qui sont utilisés pour faire face aux comportements de personnes inconscientes. Il faut aussi signaler que ces courses sauvages mobilisent la police alors qu’elle a bien d’autres choses à faire ». Par ailleurs, Nantes Métropole n’envisage pas de créer un équipement pour accueillir les amateurs de vitesse. En attendant ces travaux, la police nationale a renforcé ses patrouilles, le vendredi soir, dans le secteur.

« Un plaisir solitaire et égoïste »

Claude Chabot est le vice-président de la Ligue contre la violence routière 44.

nan25M. Chabot, quel regard portez-vous sur ces courses sauvages ?
Ce phénomène existe depuis de nombreuses années et pas seulement à Nantes. Est-ce normal que des gens se mettent en danger et mettent en danger la vie des autres ? Il y a eu plusieurs blessés mais aussi des morts. Il faut lutter contre ce phénomène qui est une école de la violence routière et qui cultive la culture du risque et le goût de l’exploit mal organisé. C’est un plaisir solitaire, égoïste et dangereux. La question que je me pose est : que fait la police ?

La répression est-elle la solution pour mettre fin à ces courses ?
C’est une partie de la réponse. Mais de simples verbalisations pour excès de vitesse ne sont pas adaptées, il est aussi possible d’aller beaucoup plus loin puisqu’il s’agit d’une mise en danger de la vie d’autrui. Cela relève du tribunal correctionnel et de lourdes sanctions sont envisageables. L’arsenal répressif existe, il suffi t de l’utiliser. La réponse peut aussi prendre la forme d’aménagements routiers. Quelques ralentisseurs suffiraient rue du Coutelier. Mais cela ne ferait sûrement que déplacer les courses.

Êtes-vous favorable à la création d’une piste dédiée à cette activité ?
Ces courses ne sont pas des activités sportives. Il existe déjà le circuit de Fay-de-Bretagne, qui pourrait être utilisé dans des conditions réglementaires, mais il faut tenir compte des nuisances que cela entraîne. C’est le Conseil Départemental qui en est le propriétaire. Des associations de sport automobile existent et organisent des événements dans un cadre légal. Et ces personnes paient pour exercer leur passion. En aucun cas, on ne peut imaginer que ces courses aient lieu sur des voies publiques, fermées pendant une certaine durée.

Une piste d’accélération à Bordeaux
Des run sauvages, des accidents, des blessés… Même scénario, mais réponse différente. A Bordeaux, depuis 1997, la piste de Labarde permet aux motards de faire parler les chevaux, en toute légalité, sur 800 mètres d’asphalte.
Retour en arrière. Au milieu des années 90, à Bordeaux, des courses sauvages se tiennent chaque vendredi soir. Jusqu’à un terrible choc frontal entre deux motards. Les pouvoirs publics décident alors de mettre fin au petit manège. La police multiplie les contrôles et verbalise à tout va. « On a dû batailler pendant une bonne année avant de trouver une solution avec la mairie », se souvient Bruno Saint-George, l’actuel président du Moto Club Bordeaux Accélération (MCBA). La solution prend la forme d’une piste d’accélération de 800 mètres au nord de l’agglomération bordelaise. « Cette piste de 12 mètres de large, éclairée et sécurisée, a été inaugurée le 17 octobre 1997 », rappelle Bruno Saint-George.
Chaque vendredi soir, les motards s’y réunissent. Ticket d’entrée : 5€ avec l’assurance, gratuit pour les spectateurs. L’été, ils sont parfois un millier à mettre les gaz dans la ligne droite. « C’est LE rendez-vous des motards. Ils viennent des départements limitrophes pour se défouler en toute légalité », poursuit le président du MCBA. « A ma connaissance, il n’y a aujourd’hui plus aucune course sauvage de motos dans le secteur. Pour les voitures, j’entends des choses, il semble que ça continue. »
La piste de Labarde, si elle reste exclusivement dédiée aux motards, ne sert pas uniquement de piste d’accélération. Cet équipement est également utilisé en semaine par les écoles de conduite et par des associations de stunt. La piste de Labarde accueille également, tous les deux ans, la Fête de la Moto, qui attire environ 15 000 personnes.

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